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Jusqu’à preuvre du contraire, nous ne trouverons rien / 2018

Résidence de recherche et de création
Agathe Boulanger et Clara Denidet

Lauréates de l’appel à projet du Bel Ordinaire pour une résidence de production et de diffusion s’appuyant sur le fonds des Archives communautaires, Clara Denidet et Agathe Boulanger proposent Jusqu’à preuve du contraire, nous ne trouverons rien. Aboutissement d’une résidence en simultané, cette exposition pensée à deux, dans des espaces partagés, est présentée dans la petite galerie du Bel Ordinaire et dans la salle d’exposition de l’Usine des Tramways à Pau.

Les deux artistes interrogent, dans leur démarche respective, la figure de l’artiste- chercheur qui, pour elles, tient autant du savant que du bricoleur. Nous ne savons pas ce que nous allons trouver et nous n’avons pas forcément envie de chercher au bon endroit. L’endroit, Agathe Boulanger et Clara Denidet le pressentent aux périphéries de l’archive. Les gestes et les outils des archivistes, leurs codes et systèmes de classement rigoureux constituent pour elles un terrain d’exploration qu’elles appréhendent de biais. Elles regardent dans les marges, s’aménagent des espaces d’appropriation et s’autorisent des interprétations.

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La possibilité de tordre.

Vendredi, 8h30. Clara cherche les trèfles à quatre feuilles sur les bas- côtés qui longent le parking de l’atelier. Elle caresse l’herbe, le geste et le regard affûtés. 30 minutes le matin. 30 minutes le soir.

PATIENCE – DÉTERMINATION – INTUITION.

Il y a un magasin de sport sur le bord de la route qui mène du Bel Ordinaire aux Archives communautaires. Le slogan au-dessus de la porte annonce:
« être spécialiste ne s’invente pas ». Supposons alors, à l’inverse, que :
ne pas être spécialiste s’invente.

Le premier jour, nous avons ouvert la cloison qui séparait nos deux ateliers. Le lendemain nous avons monté les six étagères d’une hauteur de 2 mètres de haut qui allaient nous permettre de consigner (entendons par là « rassembler les signes ») tout élément intégrant la recherche. Les étagères sont aménagées à la manière dont s’agencerait une pensée. Différentes zones sont définies. Chacune a sa fonction. Chaque élément nouveau (note, image, son, texte) est déchargé, trié, traité, transformé ou entreposé. Il a fallu définir une méthode, des conditions du travail. Dans l’espace d’exposition, les étagères sont suspendues à 16 cm du sol. L’œil met un temps avant de s’en rendre compte. On ne sait pas bien si c’est l’étagère qui flotte ou si c’est notre corps qui s’enfonce légèrement.

Sur les étagères, la temporalité est aplatie. Les documents du présent côtoient ceux du passé. Rien ne reste bien longtemps à la même place. Il y a aussi ces trois vitrines amovibles déposées sur l’étagère. Un texte blanc est appliqué au scalpel, extrait de la liste méthodique pour la description et l’indexation des archives (soit «Thésaurus - ou Trésor» précise Clara). Le vocabulaire a son importance. La possibilité de le tordre aussi.
Clara a trouvé un bouquet de fleurs que nous nommons par erreur “myosotis” pendant une semaine. Il y a des glissements de terrain dans le vocabulaire employé. Le premier mot que nous avons inventé est «cliquette», pour nommer les supports en métal recevant les tablettes des étagères. Le mot cliquette parle autant de la forme et de la fonction de l’objet (petite forme en métal à clipper) que de sa sonorité lorsqu’on l’installe (un clic comme une claque).

Autour des étagères, différents établis ont été créés avec les matériaux à disposition : planches de bois, tréteaux, tasseaux, lampes, plexiglas. Il y a le banc de reproduction, la table lumineuse, la zone de javellisation, l’aire de traitement de la faïence, les tables d’insolation, le séchoir à cyanotype, l’étendoir à « défaits ». La résine, le latex, le béton, le carrelage, et les mélanges chimiques sont expérimentés sur ce mobilier précaire mais solide.

Dans l’espace d’exposition, les établis (ou ce qu’il en reste) sont présents. Les objets gardent la mémoire de ce qu’ils ont vécu pour être fabriqués. Si Clara a collé les morceaux de faïence sur les jerrycans, assise au sol, alors les jerrycans resteront au sol. Les trèfles à quatre feuilles seront présentés entre les pages du livre d’Arlette Farge dans lequel ils ont séché. Les roses des vents seront plaquées entre les plaques de plexi qui ont servi à les javelliser. Les « défaits » en latex seront posés sur la grande table qui les a accueillis. L’atelier n’est pas replacé dans l’exposition, il n’est pas esthétisé non plus. Il est présent comme une sensation. C’est une question d’empreinte qui a le droit de s’effacer.

Nous autorisons les éléments à travailler pour nous. Il s’agit de laisser faire les choses, de perdre pied s’il le faut. Les Archives communautaires sont installées sur une zone inondable.

Nous écoutons Fade away and radiate de Blondie dans l’atelier.